Durant les trois mois qui suivent, de septembre à décembre, je parcours le pays, au gré de mes reportages. J’ai l’impression d'avoir tout à y redécouvrir. Les rêves envolés des urbains cosmopolites viennent s’entrechoquer, à l’autre bout du spectre, avec la fin de la clandestinité de ceux qui ont fait le djihad. Dans les provinces afghanes, le retour des turbans noirs sonne l’arrêt des combats. Du jour au lendemain, les villageois peuvent de nouveau emprunter leurs routes, se rendre à l’hôpital sans risquer une embuscade en chemin. Je peux me rendre dans des zones reculées qui m’étaient inaccessibles depuis plus d’une décennie. Le temps semble s’y être figé, et la guerre y a laissé des traces.
Les premiers mois du nouveau régime s’apparentent à une lune de miel : une relative liberté règne. Le temps, qui semble comme suspendu, invite presque à l’espoir. A Kaboul, les visages des combattants sont victorieux, mais également surpris, comme sidérés eux aussi : ils n’ont jamais vu la ville, les femmes, les vitrines des magasins. Mal-gré la violence qu’ils charrient, ils semblent ahuris devant la vie qui se remet à tourbillonner dans la capitale. Les femmes réinvestissent les rues, sans devoir être obligatoirement accompagnées d’un mahram, un chaperon masculin – contrairement à ce qui s’observait lors du premier régime taliban de 1996 à 2001. Certaines, comme les insti-tutrices et les sages-femmes, sont autorisées à aller travailler. Qui sait, peut-être les talibans ont-ils vraiment changé.
Au moins, il n’y a plus de guerre en Afghanistan. Pour autant, la période est loin d'être paisible. Les insurgés héritent d’un État qui n’est pas autonome, financé en majeure partie par des fonds étrangers bloqués, le régime n’étant à l’heure reconnu par aucun pays ni aucune instance internationale. Le pays s’enfonce dans la crise : les salaires des fonctionnaires sont payés de manière irrégulière, le cours de l’afghani est en chute libre. Au creux de l’hiver, à l’aube d’une nouvelle année, une famine est néanmoins enrayée grâce à l’aide internationale d’urgence qui parvient à être acheminée.