Sandra Calligaro
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POUR UN ART DE L’ENTRE-DEUX
Sandra Calligaro, Mathieu Pernot et The Silent University

in Carnets de géographes, n° 7, 2014
Rubrique Carnets de lecture [extrait]

Bien qu’elle s’exerce en marge des médias de masse, une partie de la photographie dite contemporaine voire plasticienne (Baqué, 1998) s’inspire de l’actualité pour produire. Tout en s’opposant à la démarche de ceux qui, armés de leur appareil photographique, traquent l’image qui paraîtra au plus vite dans la presse, les artistes qui s’émancipent de cette pratique empruntent tout de même à ces chasseurs d’images la question de l’immigration clandestine. Alors que ce thème fait la une des médias régulièrement, le champ de l’art contemporain, et notamment de la photographie, tente d’y apporter d’autres éclairages. Nombreux sont les travaux portant sur le sujet et réalisés depuis une dizaine d’années qui donnent à voir les espaces dans lesquels ces migrants tentent de vivre. Les questions qu’ils soulèvent sont les suivantes : Comment la photographie peut-elle traduire l’expérience vécue dans les espaces de l’entre-deux de la migration ? En quoi l’art pourrait-il être un espace de réflexion sur la situation des populations en transit ? Il sera ici question de présenter le fruit de démarches artistiques récentes interrogeant la spécificité de ces espaces et leur mode de diffusion sous la forme d’expositions, éditions ou encore performances.

Alors que les flux migratoires ne cessent de s’accroître en raison des catastrophes climatiques, de la pénurie alimentaire ou encore de conflits, se construisent des lieux de l’attente : camps de réfugiés, de transit, hébergements précaires pour une population déplacée. Michel Agier a consacré de nombreux articles à ce sujet en portant son attention sur ces lieux de l’entre-deux, pensés pour être provisoires mais dans lesquels les populations vivent de plus en longtemps (Agier, 2008). En parallèle de ces camps et autres lieux créés par des instances gouvernementales, se mettent en place des campements illicites, repères des communautés en transit. Depuis le milieu des années 2000, le square Villemin à Paris dans le Xème arrondissement est fréquenté par de nombreux Afghans, au point que le quotidien Libération a intitulé un de ses articles en 2009 : « Square Villemin ; petit Kaboul parisien»

Faisant l’objet de nombreux articles dans la presse, la situation a également été traitée par des photographes et artistes.
Parmi eux, Sandra Calligaro (www.sandracalligaro.com), photographe ayant séjourné durant sept ans à Kaboul et ayant parcouru l’Afghanistan, a présenté au printemps 2014 dans le Lieu d’Engagement Artistique Confluences à Paris l’exposition From Kaboul with Love retraçant l’ensemble du travail mené dans ce pays. Aux photographies exposées au mur qui rendent compte, sous la forme sérielle, de plusieurs sujets abordés, font écho des reproductions de publications issues de différents journaux et magazines et présentées sous verre en contrebas des images. Parmi les nombreuses séries plus ou moins influencées par une démarche de photographie de reportage, elle a réalisé en 2009 et 2010 un travail portant sur les migrants afghans venus en France. Pour ce faire, elle a rencontré les jeunes hommes à Paris ou en banlieue, puis elle est allée à la rencontre de leur famille restée en Afghanistan.

La série se présente sous la forme d’un diptyque constitué de la photographie de l’Afghan exilé en France, d’un côté, et de l’image représentant sa famille restée en Afghanistan, de l’autre côté. Dans les photographies prises en Afghanistan, des intérieurs épurés ne disposant que du strict nécessaire, une cour poussiéreuse ou encore une étendue aride. Dans celles faites en France, les jeunes hommes sont photographiés dans le square Villemin ou dans leur foyer pour ceux qui sont hébergés. L’arrière-plan de l’image laisse voir l’espace environnant : aucune appropriation de l’espace, même lorsqu’il s’agit d’une chambre. On aperçoit parfois sur certaines photographies quelques effets personnels : un sac à dos, une paire de chaussures ou encore un drapeau afghan. Qu’ils soient en extérieur ou dans une chambre, les jeunes hommes sont photographiés dans des lieux de passage ou d’attente, un endroit qui s’apparentent au non-lieu – tel qu’il est défini par Marc Augé – qui désigne par ce terme deux réalités complémentaires mais distinctes: «des espaces constitués en rapport à certaines fins (transport, transit, commerce, loisir), et le rapport que les individus entretiennent avec ces espaces » (Augé, 1992). Il s’agit de lieux au sein desquels d’ordinaire on ne demeure pas : des logements précaires et provisoires tels que les chambres d’hôtels, foyers résidentiels et camps de réfugiés. Les images de Sandra Calligaro laissent transparaître à la fois la perte du lieu où vivre, du chez soi et l’inscription dans un entre-deux spatial et temporel. Les textes accompagnant les photographies narrent la situation des deux côtés du monde sous la forme d’un récit d’une demi-page écrit à la troisième personne. Ils mettent en évidence la complexité de la mission confiée aux jeunes hommes migrants : avoir une vie meilleure ailleurs et par là faire en sorte que leurs proches puissent en bénéficier. Ils révèlent la complexité du rapport au lieu de vie hostile d’un côté comme de l’autre.

Les choix de présentation pour l’exposition, à savoir deux photographies légendées composant un diptyque accompagné du texte, contribuent à interroger avec justesse le rapport complexe à l’espace de vie. Le regard passe d’un lieu à l’autre, de la terre d’origine à la terre d’asile espérée. Au sein de l’exposition Kaboul with Love, la série participe de la réflexion sur la représentation des migrants. La coprésence des photographies accrochées au mur et des reproductions des publications dans la presse (Calligaro, 2011) interroge le statut de l’image et sa polysémie : ces photographies ont dans un premier temps permis d’aborder le problème de la présence de sans-papiers Afghans dans un square parisien et, quelques années après, dans le cadre d’une exposition, elles contribuent à une réflexion sur la situation des afghans aujourd’hui. La série dialogue avec les autres travaux de la photographe et prend place dans un projet plus vaste consacrée à l’émergence d’une classe moyenne afghane tournée de plus en plus vers l’Occident.

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Hortense Soichet
Chercheur associée au Lab’Urba Photographe, docteur en théorie de l’art
hortense.soichet@wanadoo.fr

article en version intégrale disponible ici : http://www.carnetsdegeographes.org/PDF/lect_07_04_Soichet.pdf